#Snowdenisright

 

Je suis tombé sur ce vidéo produit par un groupe visiblement québécois, et diffusé à travers le blogue de Stéphane Berthomet sur le site internet du Journal de Montréal.

Je suis certain que le coeur des réalisateurs est à la bonne place. La scène est amusante et le tout adroitement édité. Malheureusement, je ne trouve pas que la métaphore est si pertinente, ni qu’elle explique bien les enjeux de vie privée reliés aux activités de surveillance domestiques pratiquées par la NSA ou, plus prêts de nous, par le Communication Security Establishment canadien. Les remarques de Stéphane Berthomet n’aident en rien: « pourquoi acceptons-nous cela de la part de certains gouvernements qui fouillent sans vergogne dans nos fichiers, surveillent nos mouvements ou collectent nos données ? » demande-t-il.

Il aurait été intéressant de demander aux participants involontaires de ce petit montage visuel ce qu’ils pensent des dizaines de caméras qui captent leurs allées et venues, à chaque fois qu’ils se retrouvent dans des endroits publics, et ce, même s’ils n’ont rien à se reprocher. Elles sont partout, ces caméras. Aujourd’hui, on les accepte et on les tolère, mais ce ne fut pas toujours le cas: non seulement leur présence est récente, mais leur installation a fait l’objet de tollés dans le passé, suivant des arguments semblables à ceux utilisés aujourd’hui. Et le risque était certainement réel: comment, par exemple, être certain que le garde de sécurité, responsable de gérer et d’entretenir toutes ces caméras, ne se décidera pas à utiliser cette information pour ses propres fins non légitimes, parce qu’il est trop curieux sur les déplacements d’une jolie demoiselle qu’il a à l’oeil, ou qu’il désire faire chanter son patron? Ce ne sont pas des scénarios si invraisemblables que ça.

Pourtant nous voici, des décennies plus tard, et la présence massive de caméras n’a pas entraîné les effets pervers prévus. Elles sont massivement utilisées post-facto, réquisitionnées par exemple par les forces policières pour investiguer un crime, et je crois que peu de gens prétendraient que cette utilisation est ultimement inacceptable pour la société. Je suis également certain que des abus – comme ceux mentionnés en exemple dans le paragraphe précédent – ont également eu lieu et auront lieu dans le futur.

C’est le propre des outils que d’être exploités, parfois avec de mauvaises intentions, mais il y a une différence entre reconnaître ce truisme – et prendre les mesures nécessaires pour mitiger ces risques – et crier au scandale en se disant espionné même-si-on-a-rien-fait-de-mal. 99% des gens enregistrés sur les caméras de surveillance sont techniquement « espionnés » et n’ont pourtant rien à se reprocher. Leurs images finiront dans des archives poussiéreuses, attendant d’avoir une quelconque utilité (ce qui n’arrive pratiquement jamais), et les bandes magnétiques finiront tout simplement par être recyclées.

Revenons à la surveillance domestique pratiquée par les agences de renseignement. À bien des égards, elle est très semblable au modèle mentionné plus haut des caméras de surveillance. Une grande quantité d’information (par exemple, les métas-données des conversations téléphoniques) est enregistrée. La majorité
de cette information n’est pas traitée « en ligne », cet à dire au moment même où l’appel téléphonique est logé – plutôt, elle est conservée pendant un certain temps, dans le but de la consulter après les faits.

Tout comme les caméras de surveillance, la vaste majorité des données recueillies concerne des gens n’ayant absolument rien à se reprocher. Et tout comme les caméras, cette information sera très probablement ignorée, oubliée, et ultimement effacée.

Est-ce que ça veut dire qu’on doit faire aveuglément confiance aux agences de renseignements? Est-ce que ça veut dire que des changements dans leurs fonctionnements et leurs rôles ne peuvent pas être proposés, afin de les adapter aux attentes modernes en matière de respect de la vie privée, et aux changements drastiques que les technologies de l’information ont amenés au cours des dernières années? Bien sûr que non. Mais cela ne veut pas dire non plus qu’il est acceptable de tomber dans la démagogie. La NSA ne suit pas à la laisse des citoyens aléatoires et sans reproche, comme le laisse entendre le vidéo. Elle ne fouille pas « sans vergogne » dans « nos fichiers », ni surveille « nos mouvements ». Ce sont des abus de langage, tout comme il serait abus de langage d’utiliser ces termes pour la surveillance par caméra de sécurité.

Bien sûr, la NSA (et bien d’autres personnes et groupes) est capable de faire ça, et le fait pour certaines cibles étrangères. Mais c’est évidemment un autre sujet.

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2 avis sur « #Snowdenisright »

  1. analystepolice dit :

    Bonjour,
    Votre commentaire n’a pas été mis en ligne à cause du lien vers votre blogue je pense (ce n’est pas moi qui ai modéré votre texte) mais il est intéressant. Vous devriez le synthétiser pour que les lecteurs puissent en bénéficier.
    J’en profite pour vous répondre que oui, les agences fouillent régulièrement les données sur le web, enregistrent vos voyages et vos préférences alimentaires grâce à des programmes PNR instaurés par les É-U et imposés aux Européens sous la contrainte de rétorsions commerciales (j’ai participé aux discussions au niveau du gouvernement français) et j’en passe et des meilleures sur les écoutes généralisées et sauvages.
    Si mes propos ne reflètent pas la réalité, c’est qu’ils sont nettement en dessous.

    • ianlb dit :

      Bonjour. Premièrement, merci pour votre commentaire!

      Je n’étais pas certain de savoir à quoi vous faisiez référence, jusqu’à ce que je souviennes de la phrase que j’ai citée dans mon billet et qui parlait de « nos fichiers » et « nos dossiers », et que j’avais interprétée comme étant par exemple de l’information sur un ordinateur personnel. Il y a une différence importante entre accéder à ces données et accéder à celles qu’on trouve « sur le web ». Une donnée de réservation de vol peut certainement concerner un individu, mais cela ne veut pas dire qu’elle lui appartient (en fait, aux États-Unis, je suis pratiquement certain que les données PNR appartiennent aux compagnies de transport elles-mêmes).

      Notez que je ne prétends pas non plus que la NSA est incapable d’accéder à un ordinateur personnel – je ne parle toujours ici que des activités de surveillance domestique.

      Oui, évidemment, les agences de renseignements traitent beaucoup de données sur le web (pas mal tout ce qui peut leur tomber sur la main et être utilisés pour fin de corrélation), mais dans les faits le constat demeure le même: dans le contexte domestique, la vaste majorité de ces données ne leur sont absolument d’aucune utilité. Appeler ça de l’espionnage « sauvage », et prétendre que le vidéo référencé plus haut en est une bonne métaphore, demeure à mon avis un abus de langage, et contribue à la confusion générale dans ce débat.

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