Maintenant que la poussière est quelque peu retombée, j’aimerais commenter les évènements qui ont eu lieu la semaine dernière au Canada; je parle ici des meurtres de militaires à St-Jean et à Ottawa. On soupçonne dans les deux cas les coupables d’être des individus instables et motivés par la propagande extrémiste musulmane.
J’essaie ici de bien choisir mes mots, à cause des nombreuses choses qui se sont dites et écrites sur le sujet au cours des derniers jours dans la presse canadienne et sur les blogues et forums de discussion. Dans le cas de Martin Couture-Rouleau, l’influence de la propagande de l’ISIS s’est confirmée rapidement à travers les traces qu’il a laissées sur internet, et les services de sécurité ont admis avoir eu le meurtrier en observation à cause de son intérêt manifeste à rejoindre la lutte en Syrie. Dans le cas du second, il n’était pas connu des forces de l’ordre. Ces dernières affirment être en possession d’un vidéo prouvant que Michael Zehaf-Bibeau avait des motifs idéologiques et politiques pour commettre son geste, mais au moment d’écrire ces lignes, ce vidéo n’est pas encore disponible au public. À la lumière de ce que nous en savons à ce stade-ci des enquêtes respectives, on peut tout de même en conclure qu’il s’agit d’actes terroristes, fort probablement influencé par la propagande venant de l’ISIS, en Syrie et en Iraq.
Influencé ne veut pas dire « dirigé », ou « engagé par ». Personne ne prétend ici que les deux meurtriers avaient reçu directement la commande de la part d’un groupe terroriste d’effectuer ces actes. Mais l’ISIS, depuis plusieurs semaines déjà, encourage publiquement ses sympathisants venant de partout dans le monde occidental à commettre ce genre de crimes pour leur cause, sans planification ni engagement particulier autre que le salut éternel. Et des évènements semblables, impliquant encore une fois des sympathisants intégristes, mais citoyens des pays concernés, ont eu lieu ces derniers temps un peu partout, en Australie, en Grande-Bretagne et ailleurs en Europe. C’est donc plutôt normal d’y voir une piste des plus évidentes pour expliquer les motivations des deux individus.
Il ne faut pas avoir peur d’appeler un chat un chat, et cela vaut également pour le terrorisme. J’ai l’impression qu’une partie de la gauche désire ardemment éviter d’appeler ainsi ces deux incidents, peut-être parce qu’ils pensent que le faire reviendrait à soutenir les institutions fédérales de sécurité et de surveillance, avec toutes les critiques qu’on a peu leur faire ces dernières années. Mais c’est, en soi, un raisonnement un peu cynique. On peut reprocher aux gouvernements occidentaux d’avoir historiquement joué avec la carte du terroriste islamique pour fouetter l’électorat, mais cela ne veut pas dire qu’il faut en faire un débat sémantique en niant l’évidence.
D’autres crient déjà à la perte des libertés civiles. Par un hasard qui a tout l’air de sincère, le gouvernement s’apprêtait le jour même à déposer une loi (le projet de loi C-44) modifiant le mandat et les pouvoirs du CSRC, l’agence de sécurité canadienne. À première vue, cette loi semble réellement indépendante des évènements de la semaine dernière; elle donne principalement le droit à l’organisation d’opérer à l’étranger (au lieu de continuellement se fier à des pays alliés comme source d’information) et précise les règles de confidentialité des témoins en cas de procès pour rendre leurs droits similaires à ceux aux informateurs policiers. De quoi exciter le poil des jambes de ceux qui remettent en question l’existence d’une agence de renseignement au Canada. Personnellement j’y vois plutôt des ajustements nécessaires qui n’auraient pas eu toute cette attention médiatique en circonstances normales.
Harper a annoncé que d’autres mesures visant spécifiquement à répondre aux meurtres de la semaine dernière seraient présentées prochainement. Du peu que j’en ai lu, celles-ci permettraient aux agences de polices d’enquêter plus rapidement sur les individus qui publieraient de la propagande violente sur Internet. Comme toujours il est préférable d’attendre la teneur du texte de loi, mais une telle mesure n’est pas s’en susciter des craintes, bien justifiées, sur le genre d’abus que peut engendrer la volonté de légiférer sur l’expression libre des citoyens canadiens, aussi violentes soit-elle.
Il y a ceux qui relativisent le risque que cause le type de menace du « terrorisme spontanée ». Ce genre d’acte, effectué par des individus isolés et non organisé, et influencé par une propagande extrémiste, est un risque réel et qui dépasse même l’islamisme radical. Qu’on pense à Justin Bourque, qui a tué trois policiers à Moncton au début de l’été, et qui associe ouvertement son geste à des idées et groupes survivalistes d’extrêmes droites. Lui non plus ne faisait pas parti d’un groupe terroriste organisé. Mais l’incidence de tels évènements est si basse qu’on pourrait, individuellement, les ignorer facilement à comparer à des risques beaucoup plus communs (les accidents automobiles pour ne nommer que le plus évident). Si c’est si rare, pourquoi nous en faire avec un ou deux morts de plus? Ce n’est pas la première fois que des individus instables en viennent à commettre de tels actes, pourquoi s’en faire précisément avec ceux-là? Ce ne sont pas de mauvais arguments.
Sauf qu’il y a quelque chose de dangereux à vouloir ignorer les crimes motivés idéologiquement. Dans les trois cas (St-John, Ottawa, et Moncton avec Justin Bourque), les meurtriers ont été influencés par de la propagande extrémiste islamique pour les deux premiers, et libertano-survivaliste (à défaut d’avoir meilleure expression) pour le troisième. Leur geste (ou sacrifice, de leur point de vue), contribue à promouvoir l’idéologie qu’ils représentent. Les ignorer serait, pour une société démocratique, une façon de légitimer cette stratégie dans le discours politique. De plus, le caractère médiatique du terrorisme encourage ses initiateurs à continuellement chercher au plus grand coup d’éclat. Il s’en est fallu de bien peu pour que Michael Zehaf-Bibeau ne parvienne à faire bien plus de victimes, incluant des élus canadiens. Et les conséquences d’un tel geste d’auraient pas pu s’exprimer par le simple dénombrement des victimes.