Les téléspectateurs du réseau d’information russe RT ont eu droit à une surprise la semaine dernière lorsqu’Edward Snowden, délateur extraordinaire, a fait une apparition surprise lors de la séance de question réponse à laquelle le dirigeant russe se plie annuellement. Après un préambule dénonçant de nouveau les activités de surveillance américaine, Snowden a demandé à son illustre hôte de quoi il en retournait en Russie.
La réponse de Putin n’est guère intéressante – il prétend notamment que la loi russe ne permet pas ce genre d’activités, même si cela semblait le cas récemment à Socchi, mais la juxtaposition de ces deux personnalités médiatiques a quand même un côté surréaliste. Les réactions dans les médias occidentaux n’ont pas tardé, la majorité critiquant Snowden pour un geste qui avait tout l’air d’une grossière mise en scène cherchant à redorer le blason du chef russe, en pleine crise avec l’Ukraine. À quoi a-t-il pensé?
Les véritables motivations d’Edward Snowden font l’objet de questions et d’accusations depuis le tout début des divulgations le concernant. Et même si parfois ses détracteurs exagèrent, certains de leurs commentaires demeurent tout à fait légitimes.
Pourquoi fuir en Chine et en Russie, deux importants adversaires des États-Unis qui ont parmi les pires feuilles de routes en matière de droits humains et de liberté de presse? Pourquoi ne pas s’être contenté de divulguer des informations sur les programmes de surveillance domestique américains (son objectif avoué, du moins au début), alors que la vaste majorité des documents finalement publiée n’ont rien à voir avec cette question et concerne plutôt les activités habituelles des agences de renseignement?
Et maintenant, pourquoi cet exercice de propagande ridicule, qui ne bénéficie finalement que Putin?
Face au tollé, Snowden s’est empressé dès le lendemain de répondre à travers un éditorial du Guardian. Justifiant son acte, il explique qu’il désirait forcer Putin à se prononcer sur la question et, pour reprendre son expression, démarrer une conversation que d’autres journalistes pourront revisiter. Je suppose que c’est un point de vue qui a du sens à ses yeux, mais il m’apparait plutôt naïf dans le contexte politique russe. Putin, qui contrôlait très certainement cette séance de question réponse, tout comme il contrôle les médias télévisuels de son pays, n’a que faire d’avoir l’air hypocrite ou de se faire prendre à mentir. Et les journalistes russes qui désirent critiquer le Kremlin ont bien d’autres chats à fouetter que de suivre le leadership occidental d’un problème bien plus complexe que ce que nous pouvons vivre ici. Au 148ème rang dans l’index de liberté de presse de Journalistes sans Frontière, les liens entre les agences de renseignement russe et le pouvoir en place suivent une longue tradition qui n’a pas d’équivalence ici, et qui ne se règlera pas à coup de questions assassines.
Les plus cyniques diront que ce fiasco confirme que Snowden est sous influence des services secrets russes depuis son arrivé là-bas, peut-être même depuis son séjour à Hawaï. « Sous influence » veut dire ici bien des choses, mais disons que certaines de ses fréquentations laissent à désirer.
Je préfère l’explication plus banale. Snowden est sincère dans ses convictions, mais s’est retrouvé dépassé par la place et le rôle qu’il occupe, et est devenu le pion bien malgré lui du jeu géopolitique russe. Il existe même un terme pour cela: les idiots utiles. C’est le nom qu’on donnait aux sympathisants occidentaux qui ont vanté les politiques soviétiques à l’époque stalinienne et durant la guerre froide. Comme Walter Duranty, ce journaliste anglais reconnu pour ses articles éloquents qui niait la famine ukrainienne de 1933 (ironiquement, Duranty fut récompensé du prix Pulitzer pour son travail.)
Snowden se dit déçu de la réaction des médias américains sur son apparition télévisuelle – c’est du moins ce que laissent entendre certains de ses collaborateurs. Parions qu’il ajustera son tir et se fera un peu plus tranquille à partir de maintenant. Il doit également appréhender l’anniversaire fatidique de son asile politique – parions qu’il désirera le voir renouveler.