La pornographie

Lindsay Lohan. Je suis certain que c'est une bonne personne.

Lindsay Lohan. Je suis certain que c’est une bonne personne.

Jetez un coup d’œil à cet article, qui décrit plusieurs activités de surveillance de la NSA, notamment ses relations avec les entreprises de télécommunications américaines. Vous pouvez le lire au complet si ça vous chante, même s’il est plutôt long. Et il est probable que vous n’y appreniez pas grand-chose si vous avez suivi le dossier au cours des derniers mois. Vous serez peut-être déçu par le manque de détails et de preuves matérielles référencées pour les appuyer. Même l’identité du délateur n’est pas révélée.

Finalement, c’est un article plutôt terne. Pas excitant. Je suis certain que vous l’aurez finalement oublié dans une semaine. En attendant et si ce n’est pas déjà fait, remarquez sa date de publication: le 10 mai 2006. Surprise! Cet article est paru 7 ans avant la sortie de Snowden de l’année dernière.

Comment est-ce possible? L’article du USA Today discute pourtant de plusieurs des faits reprochés récemment à la NSA. Il y a 8 ans de cela! Pourquoi n’en avions-nous pas entendu parler? Oh, il avait bien créé un certain remous, pendant quelques jours, mais sans s’imposer dans le cycle médiatique américain. Une réaction fort différence de celle qu’on a réservée à Snowden. Mais pourquoi donc?

On peut commencer par observer les différences entre l’article du USA Today et ceux de Glenn Greenwald, le journaliste qui a travaillé depuis le début avec l’illustre délateur de la NSA, et qui est certainement l’un des grands architectes de son succès.

Comme discuté plus haut, l’article du USA Today ne mentionne pas l’identité de la ou des sources qui ont servi de base à son écriture. Il tente de brosser un portrait général de la situation. Il donne aussi la parole à plusieurs représentants américains, leur permettant d’expliquer certaines des allégations amenées – on peut croire ou non à la véracité de ces explications, mais il ne fait pas vraiment de doute que l’auteur a fourni les efforts nécessaires pour contextualiser ses allégations.

Greenwald a procédé d’une manière complètement différente avec Snowden. Ses nombreux articles portent moins sur l’expérience de Snowden que sur les documents sensibles qu’il a divulgués. En s’appuyant sur des documents individuels (et comme Snowden est soupçonné d’en avoir volé plus d’un million, ce n’est pas le contenu qui manque), Greenwald a été en mesure de publier ses articles au compte goûte, semaine en semaine, ce qui est une excellente stratégie pour s’assurer de demeurer présent dans le cycle médiatique. Les autorités américaines y ont également répondu, mais post-facto, et Greenwald en a profité pour les prendre de pieds, en publiant des jours plus tard de nouvelles allégations venant directement contredire les explications officielles. L’identité du délateur n’est pas cachée, mais est au contraire centrale à l’exercice – Snowden est devenu l’ambassadeur emblématique des critiques envers la NSA et son programme de surveillance domestique. Finalement, les articles de Greenwald contiennent beaucoup de détails techniques sur les opérations et les cibles de la NSA; bien qu’il dit s’efforcer de ne publier que ce qu’il considère pertinent, une grande quantité d’information divulguée suite à la fuite de Snowden n’a strictement aucun rapport avec cette surveillance domestique.

Les propos et les allégations sont en grande partie les mêmes, à 7 ans d’intervalle. La différence vient dans la présentation de cette information.

L’article du USA Today suit la structure classique du journalisme d’enquête. Certains lui reprocheront d’utiliser une source anonyme, mais c’est une réaction moderne: plusieurs scandales américains (le Watergate vient immédiatement à l’esprit) ont été dévoilés suite à des fuites de sources anonymes. Mais en bout du compte, le résultat n’est guère attrayant, et ce n’est pas si surprenant que cela qu’il soit passé sous le radar.

La stratégie de Greenwald suit un modèle complètement différent. Elle est plutôt axée sur la volonté de maximiser l’impact de la nouvelle et sa durée. Greenwald est un polémiste et son travail vise autant à informer qu’à supporter ses idéaux libertariens et ceux de Snowden. En bout du compte, ce n’est plus vraiment de l’information: c’est de la pornographie. De la « security porn », une expression que certains commentateurs ont commencé à utiliser.

Le lecteur moyen qui a suivi à chaque semaine, pendant des mois, des révélations toujours plus croustillantes sur une agence dont les activités lui étaient, la plupart du temps, complètement inconnues, ne cherche pas tant à s’informer qu’à se divertir. Et les révélations sur la NSA compétitionnent avec d’autres types de divertissement. On suit la descente aux enfers du renseignement américain comme on suit les dernières frasques de Lindsay Lohan; la chute des grands a toujours été un spectacle populaire. Plus le scandale est juteux, plus il est biaisé et provoquant, plus on attend avec impatience le prochain chapitre. Personne ne se préoccupe réellement du sort de Lohan, tout comme personne ne se préoccupe réellement des conséquences des divulgations de Snowden sur la politique étrangère des pays concernés.

Malheureusement, beaucoup de journalistes sont tombés dans le piège de répéter sans trop se poser de questions des accusations qui cherchent à provoquer avant d’informer. C’est vrai aux États-Unis, et c’est vrai ici aussi.

Et c’est peut-être l’une des principales raisons qui m’ont poussé à créer ce blogue. Pour faire contrepoids aux pornographes.

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Un avis sur « La pornographie »

  1. […] PBS, certainement parmi les meilleurs reportages journalistiques produits sur le sujet. Loin de la pornographie habituelle, j’ai trouvé leur documentaire clair, posé et factuel. Dans la seconde partie, on […]

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